- rêver
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• XIIIe « vagabonder »; probablt d'un a. v. esver (cf. endêver), gallo-roman esvo « vagabond », lat. pop. °exvagus, de vagusI ♦ V. intr.1 ♦ (XVe) Vx Délirer. Fig. « Ne m'appelez-vous pas ? — Moi ? Vous rêvez » (Molière). Mod. (compris au sens I, 4o ou I, 5o) Tu rêves, je pense ? ⇒ délirer, divaguer, plaisanter.2 ♦ Vx ou littér. Méditer.3 ♦ Mod. Laisser aller son imagination (⇒ rêverie). Vous rêvez au lieu de réfléchir. ⇒ rêvasser (cf. Être dans la lune, dans les nuages).♢ RÊVER À : penser vaguement à, imaginer. « Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines » (Baudelaire). Rêver à des jours meilleurs. À quoi rêves-tu ?4 ♦ (XVIIe; a remplacé songer) Cour. Avoir en dormant une activité psychique, faire des rêves. « Je rêvais peu dans ce temps-là » (Nodier). — RÊVER DE. Rêver d'une personne, d'une chose, la voir, l'entendre en rêve. « Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit » (Hugo). Loc. Il en rêve la nuit : cela l'obsède. — (Dans l'état de veille) Se demander si on rêve. « Si c'est là, tu as rêvé; il n'y a rien » (Giono). — Loc. On croit rêver : c'est une chose incroyable, qui semble impossible (souvent pour exprimer l'indignation).5 ♦ S'absorber dans ses désirs, ses souhaits. « On rêve, on fait des châteaux en Espagne » (Laclos). Loc. fam. (Il ne) faut pas rêver, prendre ses désirs pour des réalités. On peut toujours, on a le droit de rêver.♢ RÊVER DE : souhaiter ardemment. ⇒ convoiter, désirer, souhaiter. La maison dont je rêve (⇒ rêvé) . « Elle avait rêvé de clairs de lune, de voyages, de baisers donnés dans l'ombre des soirs » (Maupassant). (Avec inf.) Il rêvait de devenir champion.II ♦ V. tr.1 ♦ Imaginer, penser dans sa rêverie. « il vaut mieux rêver sa vie que la vivre » (Proust). Ce n'est pas la vie que j'avais rêvée.♢ Désirer comme un idéal un peu chimérique. « Que d'amours splendides j'ai rêvées ! » (Rimbaud). — (Avec un attribut) « Il rêva un clergé à son image » (Renan). ⇒ imaginer. Cour. (sans art.) Rêver mariage, fortune. « Sous la tuile de plus d'une mansarde, de pauvres créatures rêvent perles et diamants, robes lamées d'or » (Balzac). — Ne rêver que plaies et bosses.2 ♦ Former en dormant (telle image, telle représentation). Mod. (seult avec un indéterminé) « Si nous rêvions toutes les nuits la même chose » (Pascal). — RÊVER QUE. J'ai rêvé que je m'envolais.Synonymes :- rêvasserConcevoir, exprimer des choses déraisonnables, chimériquesSynonymes :- divaguer● rêver verbe transitif Voir, imaginer quelque chose au cours de son sommeil dans un rêve : J'ai rêvé que nous partions à l'étranger. Littéraire. Se représenter par l'imagination ce qu'on souhaite d'une manière plus ou moins chimérique : Rêver pour les siens un avenir merveilleux. Imaginer quelque chose, l'inventer de toutes pièces : Il a dû rêver tout ce qu'il nous a raconté. ● rêver verbe transitif indirect Voir apparaître quelqu'un, quelque chose dans un rêve : J'ai rêvé d'un ami. S'absorber dans la pensée d'une chose que l'on désire vivement : Rêver d'une vie meilleure. Réfléchir, revenir par la pensée sur un objet auquel on porte de l'intérêt : Il n'a pu réaliser tous les projets auxquels il rêvait. Faire de quelque chose l'objet de sa rêverie : À quoi rêvez-vous ? ● rêver (citations) verbe transitif Charles de Gaulle Lille 1890-Colombey-les-Deux-Églises 1970 La gloire se donne seulement à ceux qui l'ont toujours rêvée. Vers l'armée de métier Plon Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre ce soit encore la rêver. Les Plaisirs et les Jours Gallimard ● rêver (difficultés) verbe transitif Construction et sens 1. Rêver (qqch d'indéterminé), rêver que (= voir en rêve) : ce n'est pas réel, tu l'as rêvé ; j'ai rêvé que je volais. 2. Rêver qqch (= se représenter comme réel ce que l'on désire) : « Quand le monde n'est pas tel qu'on le rêve, il faut le rêver tel qu'on le veut »(A. Gide). 3. Rêver de (= voir en rêve) : j'ai rêvé de vous cette nuit ; j'ai rêvé d'un accident d'avion. Recommandation Ne pas dire dans ce sens rêver à. Rêver de qqch, rêver de (+ infinitif) = désirer vivement, souhaiter. Il rêve de la fortune, d'être riche. 4. Rêver à qqch (= y songer, y réfléchir, se le représenter vaguement) : rêver à un projet, à un voyage ; à quoi donc rêvez-vous ? 5. Rêver sur (= laisser sa pensée vagabonder sur, méditer sur) : rêver sur Rome, son empire et sa ruine. ● rêver (synonymes) verbe transitif Littéraire. Se représenter par l'imagination ce qu'on souhaite d'une manière plus...Synonymes :- imaginer- inventerrêverv.rI./r v. intr.d1./d Faire un, des rêves. J'ai rêvé toute la nuit.d2./d Laisser aller son imagination; s'abandonner à des idées vagues et chimériques. Il reste là des heures, à rêver.— On croit rêver: on n'arrive pas à le croire, à le réaliser.rII./r v. tr. indir.d1./d Rêver de (qqn, qqch) ou (Québec) rêver à (qqn, qqch): voir en rêve (qqn, qqch). J'ai rêvé de vous. J'ai rêvé à mon frère.|| Rêver de qqch: penser souvent à (qqch que l'on désire faire, posséder). Il rêve de voyages.— Je rêve d'y parvenir.d2./d Rêver à (qqch): songer à (qqch). à quoi rêvez-vous?rIII/r v. tr. (Avec un comp. indéterminé.) Concevoir au cours du rêve; voir en rêve. J'ai rêvé cela il y a longtemps.|| Rêver que. Rêver qu'on vole.⇒RÊVER, verbeI. — Empl. intrans.A. — [Pendant le sommeil] Faire un rêve, un songe. Rêver toute la nuit, tout haut. J'étais endormi et (...) je rêvais. Un beau rêve: j'étais sur le bord de la mer sur de hautes falaises, dans une grotte tapissée de varech et de fucus (FLAUB., Corresp., 1846, p. 334). Rêver est vital pour l'homme. Les expériences de privation de rêve n'ont jamais pu être prolongées bien longtemps (M.-A. DESCAMPS, La Maîtrise des rêves, 1983, p. 51).— Expr. [Pour souligner le caractère irréel de qqc.] J'avais peur de rêver; je rêve! Quelles sont vos conditions? Combien exigez-vous? Je crus rêver: les rôles étaient intervertis (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 421). Ah! à propos, Albertine, est-ce que je rêve, est-ce que vous ne m'avez pas dit que vous connaissiez Gilberte Swann? (PROUST, Prisonn., 1922, p. 23).B. — [Pendant la veille] Laisser aller sa pensée au gré des associations d'idées, des sentiments, des souvenirs.1. [À propos d'une rêverie vague et agréable] Cet hiver nous vivrons doucement au coin du feu, nous rêverons, nous imaginerons, nous désirerons (J.-J. AMPÈRE, Corresp., 1820, p. 182). Le romantique a la nostalgie, comme Hamlet; il cherche ce qu'il n'a pas, et jusque par delà les nuages; il rêve, il vit dans les songes (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 15, 1858, p. 371).♦ Rêver creux. Synon. rêvasser. Je vous demande la continuation de vos sages avis sur la place. Cela m'empêchera de déraisonner quand je rêve creux (STENDHAL, Corresp., t. 2, 1818, p. 72).♦ Rêver éveillé. Je n'ai jamais pu dormir dans un train, mais quand j'étais jeune, le train me berçait. Quelle fourmillante insomnie! Je rêvais éveillé, surtout lorsque Venise était le but du voyage (MAURIAC, Bloc-Notes, 1958, p. 182).— Qqc. fait rêver. Une gravure représentant une vue de Quillebœuf, et une autre une vue de l'abbaye de Granville! Cela m'a fait bien rêver (FLAUB., Corresp., 1850, p. 171).— P. métaph. La lune rêve. Partout, le silence. Un vaisseau français le Duguay-Trouin, rêve immobile sur la lagune (NOAILLES, Domination, 1905, p. 120).— Qqn rêve devant qqc. Rêver devant un lac, la mer, un paysage, un portrait. Si l'on va jusqu'au bout [du petit cimetière à Alger], c'est la vallée que l'on découvre avec la baie au fond. On peut longtemps rêver devant cette offrande qui soupire avec la mer (CAMUS, Env. et endr., 1937, p. 102).2. [À propos d'une ouverture de l'imagination sur l'avenir] Bientôt la nuit tombe; les lampes s'éteignent. On ne dort pas, mais on rêve. Demain la France. J'imagine ma maison de Neuilly, les arbres du Bois (MAUROIS, Journal, 1946, p. 286).C. — Méditer à loisir. Synon. songer. Lamartine rêve cinq minutes et il écrit une heure (RENARD, Journal, 1900, p. 585). Devant une flamme, dès qu'on rêve, ce que l'on perçoit n'est rien au regard de ce qu'on imagine (...). On rêve deux fois quand on rêve en compagnie de sa chandelle. La méditation devant une flamme devient, suivant l'expression de Paracelse, une exaltation des deux mondes (BACHELARD, La Flamme d'une chandelle, 1961, p. 1 et 26).— Loc. verb. On peut rêver; cela fait bien rêver. Cela laisse perplexe, songeur. C'est une comédie que toute sa conduite [du chevalier de Gremonville, ambassadeur de Louis XIV] à Vienne (...) J'avoue (...) que tout cela fait bien rêver (SAINTE-BEUVE, Portr. contemp., t. 5, 1846, p. 248). M. de La Fayette détestait la ville. Il n'aimait que la solitude et sa femme. Trente ans, il vécut loin d'elle en Auvergne (...) Il n'a pas gêné sa femme; il lui écrivait, et il l'aimait toujours. Là-dessus, on peut rêver (CHARDONNE, Attach., 1943, p. 105).D. — Vieilli. Délirer. Voilà le transport qui lui vient, il commence à rêver (Ac.).— P. ext. Dire des choses extravagantes, déraisonnables. Synon. divaguer. Vous rêvez quand vous dites telle chose. Vous n'êtes pas en votre bon sens, vous rêvez. C'est un vieux radoteur, il ne fait plus que rêver (Ac.).II. — Empl. trans.A. — [Pendant le sommeil] Voir en rêve.1. Qqn rêve qqn, qqc. Chaque nuit pourtant, il la rêvait; c'était toujours le même rêve: il s'approchait d'elle; mais, quand il venait à l'étreindre, elle tombait en pourriture dans ses bras (FLAUB., Mme Bovary, t. 2, 1857, p. 204). Jung est mort paisiblement dans sa maison de Küsnacht, tout près de Zurich (...). Plusieurs de ses amis ont rêvé l'événement avant que la nouvelle ne se soit répandue (E. PERROT, Les Rêves et la vie, 1979, p. 41).2. Qqn rêve à, de qqn, à, de qqc. Chaque nuit (ou presque), je rêve d'elle (...) Et toujours (...) je vois se dresser entre elle et moi quelque obstacle (GIDE, Journal, 1942, p. 132). Quand le Pharaon rêve (...) aux vaches maigres ou grasses, aux épis lourds et desséchés, on appelle Joseph qui, non content d'interpréter l'avenir, élabore un plan de secours (Sc. et vie, mars 1983, p. 76):• 1. On soupa sans boire (...) et l'on dormit, faute de mieux. Paganel rêva de torrents, de cascades, de rivières, de fleuves, d'étangs, de ruisseaux, voire même de carafes pleines, en un mot, de tout ce qui contient habituellement une eau potable.VERNE, Enf. cap. Grant, t. 1, 1868, p. 164.♦ Rêver aux anges. [En parlant d'un très jeune enfant qui, les yeux fermés, ébauche un sourire] Il reste l'enfant. La goutte du fond lui est réservée. On attend qu'il rêve aux anges, et la perle liquide roule sur son sourire (PESQUIDOUX, Livre raison, 1925, p. 21).Rem. ,,Malgré la tradition puriste, rêver, au sens propre, se construit le plus souvent avec à dans la langue actuelle: J'ai rêvé à vous cette nuit. On peut admettre que j'ai rêvé de vous est plus élégant, mais il paraît difficile de considérer rêver à comme franchement incorrect`` (DUPRÉ 1972, p. 2286).3. Qqn rêve que + verbe à l'ind. Ce matin, de deux à trois heures, je me suis réveillée avec un cauchemar. Je rêvais que vous étiez malade (E. DE GUÉRIN, Lettres, 1846, p. 492). Quand je rêve que je vole ou que je tombe, le sens entier de ce rêve est contenu dans ce vol ou dans cette chute (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 329).B. — [Dans l'état de veille]1. Laisser emporter son imagination dans un univers mythique, poétique, dégagé des contingences du réel.— Qqn rêve qqn (rare), de qqn. Quand je rêvais ma sylphide, je me donnais toutes les perfections pour lui plaire (CHATEAUBR., Mém., t. 3, 1848, p. 309). J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant ton ombre, à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être (R. DESNOS, Corps et biens, Paris, Gallimard, 1983 [1930], p. 29):• 2. Michaël ne perdait pas à la complicité nocturne [des trois enfants]. On l'y rêvait, l'y exaltait, l'y fabriquait de toutes pièces. Lorsqu'on le retrouvait ensuite, il ne se doutait guère qu'il bénéficiait d'un enchantement semblable à celui de Titania sur les dormeurs du Midsummer Night's Dream.COCTEAU, Enfants, 1929, p. 121.— Qqn rêve qqc. Je rêve pour vous un joli petit hôtel entre cour et jardin (...) un palais de fée dont vous seriez la reine et où je passerais ma vie à vos genoux (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 353). Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires (...): je croyais à tous les enchantements (RIMBAUD, Saison enfer, 1873, p. 228).♦ Rêver sa vie. Admets que tu partes dans l'état où tu es en ce moment: tu risques de crever comme une bulle, tu auras rêvé ta vie trente-cinq ans et puis un beau jour une grenade fera éclater tes rêves, tu mourras sans t'être réveillé. Tu as été un fonctionnaire abstrait, tu seras un héros dérisoire (SARTRE, Âge de raison, 1945, p. 124).— Qqn rêve que + verbe à l'ind., rêve de + inf. Auprès d'elle, en elle [la musique], on rêve qu'on est un autre, qu'on aurait pu avoir une vie meilleure, qu'on est un grand artiste. Quand j'étais jeune, je rêvais que j'étais un grand virtuose terminant sous les ovations le concert que je rêvais de donner (G. SUARÈS, Vladimir Jankélévitch, Lyon, La Manufacture, 1986, p. 66).♦ Empl. pronom. réfl. [Avec un attribut de l'obj.] Il se rêvait prince Charmant, pauvre gosse, et riche, et puissant (COLETTE, Vagab., 1910, p. 28). [Indir.] Supposons que je me sois rêvé une nombreuse lignée! (SAND, Villemer, 1861, p. 138).— Qqn rêve à qqc. (vieilli). Loc. pop. Rêver à la moutarde (HAUTEL t. 2 1808). Avoir l'air de penser à quelque chose et ne penser à rien. Synon. rêver à la Suisse (Ac. 1798, 1835).— Qqn rêve de qqc. Rêver de châteaux en Espagne, d'îles lointaines. Pendant tout l'après-midi, il rêva de billets doux, d'enlèvements, d'audacieuses déclarations (AYMÉ, Brûlebois, 1926, p. 59).— Qqn rêve sur qqn, qqc. On rêve sur un poème comme on rêve sur un être (ÉLUARD, Donner, 1939, p. 81).2. Échafauder un projet qui semble réalisable.— Qqn rêve qqc. Michel rêvait la fédération suisse appliquée à toute l'Europe (BALZAC, Secrets Cadignan, 1839, p. 326). Il eut un moment la pensée (...) de l'étendre raide morte d'un coup de ce poignard (...). Mais (...) Sir Williams rêvait une vengeance plus splendide qu'une mort subite (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 3, 1859, p. 341).— Qqn rêve à qqc. Rêver au mariage, à la paix, à la réussite. Le commissionnaire savoyard (...) rêve au petit champ de seigle, au maigre pâturage qu'au retour il achètera dans sa montagne (MICHELET, Peuple, 1846, p. 58). Car nous tous, Français et Françaises (...), n'avions jamais cessé de rêver à la libération de Paris, de travailler à ce qu'elle s'accomplît non seulement dans la joie de nos cœurs, mais aussi par la force de nos armes (DE GAULLE, Mém. guerre, 1959, p. 462).3. Désirer ardemment, aspirer à.— Qqn rêve qqc. Rêver mariage. Qui a château rêve chaumière, qui a chaumière rêve palais (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 70).— Qqn rêve à, de qqc. Rêver au printemps, au retour de qqn, aux vacances; rêver de bals, de bijoux, de liberté, de Paris. Les voyageurs rêvaient à des citernes, les chasseurs à leurs forêts, les vétérans à des batailles (FLAUB., Salammbô, t. 2, 1863, p. 127).— Qqn rêve de + inf. Rêver de partir, de voyager. Toute petite je rêvais de courir les chemins, les pieds nus dans la poussière, demandant l'aumône, vivant en bohémienne. On m'a dit que ma mère était fille d'un chef de tribu, en Afrique; j'ai souvent songé à elle (ZOLA, Th. Raquin, 1867, p. 38).— Qqn rêve que + verbe à l'ind. [Michel] rêva un moment qu'il tenait un magasin de chaussures. C'était une ambition qui le hantait depuis son enfance (AYMÉ, Uranus, 1948, p. 188).♦ Ne rêver que + subst. Une âme aventureuse et folle qui ne rêvait que batailles, courses dans les pampas (A. DAUDET, Tartarin de T., 1872, p. 14). Il ne rêve qu'à ça. Lui aussi il joue au football. Il ne rêve qu'à ça. C'est mon petit-fils, il a quatorze ans (MONTHERL., Olymp., 1924, p. 371). Expr. ,,Ne rêver que plaies et bosses. Se dit de quelqu'un qui est batailleur, qui aime les querelles, les procès, etc.`` (Ac. 1935).C. — Vieilli. Penser, réfléchir à. Synon. songer. Cette affaire est de grande conséquence, il faut y rêver. J'ai rêvé longtemps sur cette affaire, à cette affaire (Ac. 1798). Sous le règne d'Élisabeth, à l'époque même où Shakespeare rêvait à son Shylock (VERNE, Enf. cap. Grant, t. 3, 1868, p. 62):• 3. Louis XV pensait qu'il fallait changer l'esprit de la nation, et causait sur les moyens d'opérer ce grand effet avec M. Bertin (...), lequel demanda gravement du temps pour y rêver. Le résultat de son rêve, c'est-à-dire de ses réflexions, fut qu'il serait à souhaiter que la nation fût animée de l'esprit qui règne à la Chine.CHAMFORT, Caract. et anecd., 1794, p. 112.REM. 1. Rêvant, -ante, part. prés. en empl. adj. Qui fait rêver. Avez-vous jamais dormi (...) dans un champ d'orangers fleuris? L'air (...) nous enivre, nous alanguit, nous verse une torpeur somnolente et rêvante (MAUPASS., Contes et nouv., t. 2, En voy., 1883, p. 326). 2. Rêvailler, verbe intrans. Rêvasser. Mon paresseux d'esprit, qui aime mieux rêvailler que travailler (E. DE GUÉRIN, Journal, 1840, p. 320). 3. Rêve-creux, subst. masc. Synon. de songe-creux. Il ne faut pas rire; je suis un rêve-creux, moi et (...) j'ai songé que je couvais quelque maladie (L.-B. PICARD, Théâtre, t. 8, Charlatans, 1821, p. 390). 4. Rêver, subst. masc., vieilli. Rêve, rêverie. Le caractère le plus remarquable de ce morceau (...) c'est peut-être qu'il (...) laisse chacun rêver à son gré sur l'état d'âme définitif que cela suppose. Le rêver est bien, en effet, ce que Rousseau préfère à tout et ce que le plus volontiers il suggère (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 15, 1861, p. 232).Prononc. et Orth.:[
], [
-], (il) rêve [
]. Ac. 1694, 1718: resver; dep. 1740: rê-. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1130 resver « délirer à cause d'une maladie » (Lapidaires anglo-normands, éd. P. Studer et J. Evans, V, 1312, p. 246); b) ca 1240 reever « radoter » (MATTHIEU PARIS, L'Histoire de Saint Edouard Le Roi, éd. K. Y. Wallace, 3786); c) 1538 faire resver « induire en erreur » (EST., s.v. incutere); d) 1552 resver « être perdu, absorbé dans des pensées vagues » (RONSARD, Les Amours, CXII ds Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 4, p. 110: J'iray toujours et resvant et songeant); e) déb. XVIIe s. resver à « penser à » (D'AUBIGNÉ, Confession du sieur de Sancy ds Œuvres, éd. E. Réaume et De Caussade, t. 2, p. 368); ca 1620 resver « réfléchir » (ID., Lettres de poincts de science, t. 1, p. 436); f) déb. XVIIe s. resver « imaginer, voir comme dans un rêve » (ID., Confession du sieur de Sancy, t. 2, p. 293); g) 1606 resver « désirer quelque chose ardemment » (RÉGNIER, Satyre IX, 181 ds Œuvres, éd. G. Raibaud, p. 103); h) 1640 « voir en rêve » (CORNEILLE, Polyeucte, I, 1); 1649 « faire des rêves en dormant » (DESCARTES, Traité des Passions ds Rom. Forsch. t. 86, p. 490); 2. a) 1269-78 resver « vagabonder, errer pour son plaisir, faire une promenade » (JEAN DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 7709); b) en partic. 1491 raver « se promener déguisé pendant le carnaval » (J. AUBRION, Journ. ds GDF.). Mot d'orig. incertaine, peut-être dér. d'un verbe non att. esver « vagabonder » (d'où aussi desver « perdre le sens », v. endêver; v. aussi GUIR. Lex. fr. Étymol. obsc. qui propose de rattacher le mot à reexvadare, dér. du lat. evadere « sortir, s'échapper de »). Vers la fin du XVIIe s., rêver tend à supplanter songer au sens de « faire des rêves en dormant » (d'où aussi l'apparition de rêve avec le développement sém. qu'a pris le verbe à cette époque). Voir A. GREIVE, bbg. infra. Fréq. abs. littér.:6 367. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 6 656, b) 11 795; XXe s.: a) 10 029, b) 9 043.
DÉR. Rêvoir, subst. masc. Lieu propre au rêve. Chaque soir (...) J'allais le long d'un quai bien nommé mon rêvoir (LAFORGUE, Poés., 1887, p. 58). — []. — 1re attest. 1546 resvoir « lieu où l'on peut rêver » (RABELAIS, Tiers Livre, XV, éd. M. A. Screech, p. 119, 65); mot de formation comique, dér. de rêver, suff. -oir sur le modèle de dortoir.
BBG. — ALESSIO (G.). Saggio di etimologie francesi. R. Ling. rom. 1950, t. 17, pp. 174-175. — BUGGE (S.). Étymol. rom. Romania. 1875, t. 4, pp. 364-365. — COHN (G.). Rêver... In: [Mél. Tobler (A.)]. Halle, 1895, pp. 269-288. — CORRÉARD (G.). Contribution à l'étymol. de rêver et desver. Trav. de l'Inst. de Ling. de Paris. 1958, t. 3, pp. 95-135. — GREIVE (A.). Rêver, songer, penser im Frz. Rom. Forsch. 1973, t. 85, n ° 4, pp. 486-500. — JUD (J.). Rêver et desver. Romania. 1936, t. 62, pp. 145-157. — KRESS (N.). L'Évol. sém. de rêver et songer jusqu'à la fin du 17e s. Thèse, Strasbourg, 1970, pp. 102-134, 177-239. — LORIOT (R.). Réderie, topon. pic. et la fam. étymol. de rêver. Romania. 1947, t. 69, pp. 463-495. — NIGRA (C.). Note etimologiche e lexicali. Z. rom. Philol. 1904, t. 28, p. 647. — STAAF (E.). Desver et rêver, essai d'étymol. In: [Mél. Geiger (P. A.)]. Uppsala, 1901, pp. 251-264.rêver [ʀeve; ʀɛve] v.ÉTYM. V. 1130, resver; v. 1265, « aller çà et là pour son plaisir » (Godefroy), « vagabonder », sens courant jusqu'au XVe; probablt dérivé d'un anc. v. esver (cf. anc. franç. desver, franç. mod. endêver) que l'on rattache au gallo-roman esvo « vagabond », lequel proviendrait, par une forme exvagus, du lat. vagus (selon Jud); P. Guiraud évoque deux étymons, raver, du lat. pop. rabare, lat. rabere « rager », et re-exvagare, de exvagus, cf. ci-dessus.❖———I V. intr.1 Vx. Délirer (→ Divaguer, qui présente la même évolution sémantique).1 Comment ? rêver sans fièvre ! cela fait peur.Mme de Sévigné, 262, 6 avr. 1672.♦ Par ext. Parler ou agir d'une manière extravagante, décousue et déraisonnable. — REM. Cet emploi est vieilli, sauf dans des expressions du type : Vous rêvez, je pense ? → Divaguer.2 — Ne m'appelez-vous pas ? — Moi ? Vous rêvez.Molière, Tartuffe, II, 4.2 (Fin XVIe). Vieilli ou littér. Méditer, « appliquer sérieusement son esprit à raisonner sur quelque chose » (Furetière, 1690). ⇒ Penser, réfléchir (→ Dicter, cit. 1, Montaigne). || Descartes rêvait seul et en silence (→ 2. Poêle, cit. 1). — Rêver sur…, rêver aux moyens de… (→ Éternel, cit. 40).3 (…) dans le peu de temps qui me fut donné, il m'était impossible de faire un grand dessein, et de rêver beaucoup sur le choix de mes personnages et sur la disposition de mon sujet.Molière, les Fâcheux, Avertissement.4 J'ai beau rêver, je ne me rappelle ni grande brune, ni jolies mains : tâche de t'expliquer.Diderot, Jacques le fataliste, Pl., p. 568.5 (…) le comte de Vanghel n'avait été au fond qu'un philosophe, rêvant comme Descartes ou Spinoza.Stendhal, Romans et nouvelles, « Mina de Vanghel ».6 (…) il y a lieu de rêver sur les fins obscures de ces brillantes destinées.Émile Henriot, Portraits de femmes, p. 62.♦ N. B. Dans cet emploi moderne, les sens 2 et 3 sont mêlés.3 (Mil. XVIe). Mod. Avoir une activité mentale qui n'est pas dirigée par l'attention, dans laquelle l'imagination et le sentiment l'emportent sur la pensée abstraite et sur le sens du réel. ⇒ Rêverie. → Laisser errer la pensée, suivre le fil de ses pensées; et aussi entrecouper, cit. 2; essor, cit. 11; inoffensif, cit. 3; lisière, cit. 7; nature, cit. 51, Rousseau; oublier, cit. 16. || Vous rêvez au lieu de réfléchir (→ Boutade, cit. 5). || Rêver au lieu d'agir, de créer (cit. 7).7 En poésie, en philosophie, en toute littérature, quand on n'a pas le temps de penser et d'écrire, on est perdu. Il faut avoir le temps de rêver.8 Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !Je veux rêver et non pleurer.Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses, IV, XLV.9 Pourquoi rêver, qui peut agir ?G. Duhamel, les Plaisirs et les Jeux, VI, VII.♦ (Avec un compl.). || Rêver à : penser vaguement à…, s'absorber dans une rêverie concernant tel ou tel objet (→ Convenance, cit. 7; nourriture, cit. 3). || Rêver à ses chères pantoufles (→ Famille, cit. 23). — REM. Lorsque l'objet de la rêverie est une chose que l'on désire, le sens est proche du (5.) rêver de…10 Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines (…)Baudelaire, les Fleurs du mal, « Tableaux parisiens », XCVIII.11 Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux (…)Baudelaire, les Fleurs du mal, « Révolte », CXVIII.12 (…) je rêve à la sagesse comme on rêve à la terre promise.G. Duhamel, la Pesée des âmes, Notes liminaires.♦ Rêver sur…, à propos de… (→ Maladrerie, cit.; organique, cit. 1). — REM. En poésie, on emploie parfois rêver de… pour rêver à, afin d'éviter un hiatus.♦ Péj. Être distrait, rester absorbé dans des rêveries vagues et vaines. ⇒ Bayer (cit. 1), béer, rêvasser; lune (être dans la). || Rêver à des chimères, à des niaiseries.13 L'un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire;L'autre rêve à des vers quand je demande à boire (…)Molière, les Femmes savantes, II, 7.4 (1671). Cour. Avoir en dormant une activité psychique, faire des rêves. ⇒ Rêve (1.). — REM. Ce verbe a supplanté songer au XVIIIe et au XIXe siècle.14 Je rêvais peu dans ce temps-là, ou plutôt je croyais sentir que la faculté de rêver s'était transformée en moi. Il me semblait qu'elle avait passé des impressions du sommeil dans celles de la vie réelle, et que c'est là qu'elle se réfugiait avec ses illusions.Charles Nodier, Contes, « Fée aux miettes », XV.15 Un homme qui rêve est pris dans le groupe des transformations de son rêve, et il n'en peut sortir que par l'intervention d'un fait étranger et extérieur au monde du rêve.Valéry, Variété, Études philosophiques, in Œ., t. I, Pl., p. 813.16 On rêve avant de contempler. Avant d'être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu'on a d'abord vus en rêve. Et c'est avec raison que Tieck a reconnu dans le rêve humain le préambule de la beauté naturelle.G. Bachelard, l'Eau et les Rêves, Introd., III.17 (…) dans cette pièce si morne, sans m'expliquer ce que j'y venais faire, j'étais tout à fait assuré que je ne rêvais pas. Il est vrai que mon assurance était peut-être un rêve (…) Dans les rêves parfois l'on se dit que l'on rêve, et moi, qui me disais que je ne rêvais pas, je formais peut-être, en rêvant, ces pensées d'apparence raisonnable.H. Bosco, Un rameau de la nuit, p. 59.♦ (Avec un compl.). || Rêver de. || Rêver d'une personne, d'une chose, la voir, l'entendre en rêve. || J'ai rêvé de vous. ☑ Loc. Il en rêve la nuit, se dit d'une chose qui obsède, à laquelle on pense sans cesse. — Rêver à quelque chose.18 Je n'ai plus qu'une idée; j'y pense le jour, et j'y rêve la nuit.Laclos, les Liaisons dangereuses, IV.19 Si les liens des cœurs ne sont pas des mensonges,Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes,Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit.Hugo, les Contemplations, II, XIV.20 Elle a rêvé, durant ces quinze derniers jours, quatre fois de nous, surtout de moi.J. Renard, Journal, 4 avr. 1890.♦ (Dans l'état de veille). || Rêver tout éveillé, les yeux ouverts. || « Ceux qui rêvent éveillés ont connaissance de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu'endormis » (→ Folie, cit. 5). — Se demander si on rêve… || Je ne rêvais pas (→ Peur, cit. 21). || Vous avez rêvé, vous vous trompez.21 Elle lui crie : C'est là-bas. Et elle lui montre l'endroit juste (…) — Si c'est là, tu as rêvé; il n'y a rien.J. Giono, Regain, I, III.♦ ☑ On croit rêver : c'est une chose incroyable, qui semble impossible. (Souvent pour exprimer l'indignation). C'est inouï, exagéré, révoltant ou extravagant (→ C'est un peu fort).21.1 On voit que vous n'avez pas l'habitude du suicide. L'habitude du suicide, on croit rêver.C. Rochefort, le Repos du guerrier, I, II, p. 30.5 S'absorber dans ses désirs, ses souhaits. || On rêve, on fait des châteaux en Espagne (→ Créer, cit. 24). || Rêver et réaliser ses rêves (→ Passer, cit. 100). ⇒ Rêve. — ☑ Fam. Il ne faut pas rêver : il faut tenir compte des réalités. || Tu nous vois dans une Rolls…, faut pas rêver !♦ Rêver de, souhaiter ardemment, songer en souhaitant. ⇒ Convoiter, désirer, souhaiter (→ Asile, cit. 23). || L'avenir dont rêvait Nietzsche (→ Préalable, cit. 3). — Rêver de…, suivi de l'inf. (→ Assujettir, cit. 16; hégémonie, cit. 3; industrialiser, cit. 4; innocence, cit. 4). || Rêver de posséder (cit. 24) le cœur d'une femme. || Rêver de faire mieux (→ 2. Parer, cit. 5).22 Enfermée, emprisonnée dans la boutique à côté d'un mari vulgaire et parlant toujours commerce, elle avait rêvé de clairs de lune, de voyages, de baisers donnés dans l'ombre des soirs.Maupassant, Pierre et Jean, IV.23 Souffrez que ma fatigue, à vos pieds reposée,Rêve des chers instants qui la délasseront.Verlaine, Romances sans paroles, Aquarelles, « Green ».24 Après le verbe rêver, l'infinitif peut se construire soit directement, soit avec la préposition de (…) L'infinitif construit directement exprime un phénomène se déroulant en songe (…) L'infinitif introduit par de indique un phénomène non réalisé que l'on désire, et que l'on se plaît à imaginer pendant la veille.J. Damourette et É. Pichon, Essai de grammaire de la langue franç., §1134.———II V. tr.25 Allons sur le chevet rêver quelque moyenD'avoir de l'incrédule un plus doux entretien.Corneille, le Menteur, III, 6.2 Vieilli ou littér. (→ ci-dessus, I., 3.). Imaginer, penser dans sa rêverie. ⇒ aussi Évoquer, représenter (se). REM. Au XVIIe s., rêver un poème signifiait le composer, l'imaginer par la pensée active et volontaire (→ ci-dessus, le sens 1); au XIXe s. et pour les romantiques, le sens du verbe évolue comme celui de rêverie : « Où donc est la beauté que rêve le poète ? » (→ Interprète, cit. 13, Vigny). Certes, il est beau de rêver l'éternité (cit. 12). — (Avec l'inf.). || Il n'y a pas de grimaud… qui n'ait rêvé être le plus malheureux des hommes (→ Bambin, cit. 2), rêvé qu'il était…26 Pourquoi n'écris-tu pas tout ce que tu rêves ? cela ferait un joli recueil.A. de Musset, Fantasio, I, 2.27 On rêvait Charlemagne, on pense à Louis seize !Hugo, les Chants du crépuscule, XV.28 (…) il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre ce soit encore la rêver (…)Proust, les Plaisirs et les Jours, Regrets…, VI.29 C'est tellement plus facile d'écarter une femme quand on la connaît que quand on la rêve.Roger Vercel, l'Île des revenants, p. 15.♦ Imaginer plus ou moins vaguement la satisfaction d'un désir; « désirer comme un idéal un peu chimérique » (Foulquié). ⇒ Rêve; forger. || Rêver le progrès (→ Dévouer, cit. 8). || Rêver le miracle d'une prose poétique (cit. 3, Baudelaire). || Mon existence (cit. 19) que j'avais rêvée si belle. — Cour. (Sans article). || Rêver mariage, fortune… (→ ci-dessous, cit. 30, Balzac; et le tour analogue avec parler).30 Au fond de bien des loges de portiers, sous la tuile de plus d'une mansarde, de pauvres créatures rêvent, au retour du spectacle, perles et diamants, robes lamées d'or et cordelières somptueuses, se voient les chevelures illuminées, se supposent applaudies, achetées, adorées, enlevées (…)Balzac, Une fille d'Ève, Pl., t. II, p. 106.30.1 Elle était une de ces célibataires parisiennes qui, chaque soir (…) rentrent chez elles avec de la crotte à leurs jupons, font leur dîner, le mangent toutes seules, puis, les pieds sur une chaufferette, à la lueur d'une lampe malpropre, rêvent un amour, une famille, un foyer, la fortune, tout ce qui leur manque.Flaubert, l'Éducation sentimentale, éd. du Milieu du monde, p. 437.31 J'aurai rêvé toutes les vies, pour me consoler de n'en avoir pas vécu une.32 Eh bien ! vous l'avez, votre république ! — « Oui, je l'ai, répondit hier Béranger; mais j'aimerais mieux la rêver que l'avoir ».Sainte-Beuve, Chateaubriand…, t. II, p. 321.33 — Je sentais depuis quelque temps que je songeais à lui. Je n'ai jamais vu ni rêvé un homme comme lui ! Il dépasse tout ce que je pouvais m'imaginer de perfections !A. de Gobineau, les Pléiades, p. 292.34 Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !Rimbaud, Poésies, XXIII.35 Il rêva un clergé à son image, pieux, zélé, attaché à ses fonctions. Beaucoup d'autres saints personnages travaillaient au même but (…)Renan, Souvenirs d'enfance…, IV, Œ. compl., t. II, p. 825.♦ Vieilli. (On emploie plutôt dans ce sens rêver de… → ci-dessus, I., 5.). Désirer, souhaiter vivement. ⇒ Demander. || Elle rêva un tapis (→ 1. Boire, cit. 42). — ☑ Loc. (Sans article). Ne rêver que plaies et bosses.36 (…) elle (Sophie Hugo) rêvait toujours la chute de l'usurpateur et le retour du roi légitime (…)Émile Henriot, les Romantiques, p. 23.3 (1640). Vieilli. (→ ci-dessus, I., 4.). Former en dormant (une image, une représentation). || « Un péril qu'une femme a rêvé » (→ Alarmer, cit. 5, Corneille). — Mod. || Rêver que. || J'ai rêvé que je mourais (→ Dormir, cit. 36, Pascal; mors, cit. 4).37 Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours; et si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui rêverait toutes les nuits, douze heures durant, qu'il serait artisan.Pascal, Pensées, VI, 386 (cf. Dormir, cit. 36).38 Au bout d'une semaine, Laurent était écœuré. La nuit, il rêvait les cadavres qu'il avait vus le matin.Zola, Thérèse Raquin, XIII.——————se rêver v. pron.2 (Réfl.). Rêver que l'on est, que l'on sera… (→ ci-dessous, cit. 40, Malraux).39 Dans le moment même de l'action et de la parole, je suis ailleurs, je pense à autre chose; ce qui se rêve est tout pour moi.A. de Vigny, Journal d'un poète, 1844, De moi-même.40 Qu'il y eût en tout être, et en lui d'abord, un paranoïaque, il en était assuré depuis longtemps.Il avait cru, jadis — temps révolus (…) — qu'il se rêvait héros.Malraux, la Condition humaine, I, 4 h du matin.——————rêvé, ée p. p. adj.1 Imaginé, souhaité. || Cette promotion (cit. 1) rêvée, désirée à tout moment.2 Idéal. || Le coin rêvé pour passer ses vacances. || La position, la solution rêvée, la meilleure qui soit.3 Vu, entendu en rêve. || L'existence (cit. 14) possible des choses rêvées.❖DÉR. Rêverie, rêveur, rêvoir.
Encyclopédie Universelle. 2012.